Compte-rendu de la journée de l’axe GCR (20 mai 2025)
Compte rendu de la Journée de l’axe « Imbrication des rapports sociaux : genre, classe, race », 20 mai 2025, Centre Maurice Halbwachs, ENS – Campus Jourdan, Paris.
Le 20 mai 2025, s’est tenue, à Paris, la Journée de l’axe « Imbrication des rapports sociaux : genre, classe race » (GCR), une rencontre qui a permis de réunir près d’une trentaine de chercheurs et chercheuses affilié·es à cet axe de recherche du Centre Maurice Halbwachs. Cette rencontre organisée par Yasmine Berriane, Etienne Penissat, Malena Lapine et Théo Rougnant s’est déroulée en cinq temps : le matin, après la présentation d’un ouvrage récent, un panel a été constitué autour de recherches actuelles sur le thème « genre, travail et mobilisation » ; l’après-midi, un atelier de formation professionnel à été proposé aux doctorant·es, suivi d’ateliers thématiques scientifiques et d’un échange sur la vie de l’axe. Nous proposons ici une présentation synthétisée des principales séquences thématiques de cette journée.
1. Matinée plénière : présentation de recherches récentes
Fatma Çingi Kocadost, chercheuse affiliée au CMH, a pu présenter l’ouvrage récent issu de sa thèse, La promesse qu’on nous a faite (ed. EHESS), discuté par Benjamin Zarnitsky. Pour les femmes de cette enquête, jeunes, maghrébines, de milieux populaires en France, la quête d’une union matrimoniale est motivée par une promesse, celle d’un bonheur familial, fondé sur la reconnaissance de leur travail domestique et maternel.
Ce livre s’attelle à déplier cette promesse et à comprendre pourquoi une autre promesse, celle de l’émancipation par le travail salarié, résonne pour elles comme une « arnaque ». Tout en invisibilisant la réalité de la double journée, l’idéal d’indépendance occulte l’effort de celles qui le rendent possible – nounous, aides à la personne, aides-soignantes, femmes de ménage. Il contribue ainsi à renforcer les inégalités entre femmes.
Mêlant le récit de soi à l’observation ethnographique, Fatma Çingi Kocadost explore les liens entre travail salarié et domestique, maternité et hétérosexualité, autonomie et féminisme. Guidée par des formes de vie minoritaires, elle interroge l’imaginaire féministe de l’émancipation et nous invite à repenser nos attaches. On peut retrouver une recension de l’ouvrage faite par Romain Philit paru dans La vie des idées.
La suite de la matinée a été consacrée à des recherches doctorales et post-doctorales de membres de l’axe, regroupée sous le panel « genre, travail et mobilisation ».
Charlotte Vampo a présenté les résultats d’un travail collectif réalisé en 2023-2024, dans le cadre d’un post-doctorat à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), sur la place des femmes dans l’enseignement supérieur et la recherche au Tchad, avant d’être discutée par Yasmine Berriane. Ce travail s’inscrit dans son domaine de recherche actuel, à savoir celui du genre, des sciences et des techniques, et lui a permis de retracer son parcours scientifique vers cette problématique, en montrant la spécificité de ses travaux réalisés dans des milieux professionnels à prédominance masculine.
Elle a pu ainsi présenter l’ouvrage tiré de la recherche menée au Tchad. Celle-ci a été financée par l’ambassade de France au Tchad, ce qui a permis de réfléchir à la nature de ce texte, aux conditions de production de ce dernier et, de manière plus générale, aux rapports de pouvoir qui régissent la production scientifique au « Sud », en l’occurrence au Tchad, notamment pour les femmes.
La place très minoritaire des femmes au sein de l’ESR au Tchad prend racine dans l’histoire sociopolitique complexe de ce pays, en particulier dans l’histoire du combat des femmes pour leur autonomisation et contre les inégalités de genre. La thématique du genre et de l’enseignement supérieur et la recherche s’articule, en effet, aux conditions historiques de l’adoption progressive, depuis les années 1970, d’une approche du développement qui intègre peu à peu la question du genre. La vie politique récente au Tchad a été marquée par des réformes visant à promouvoir les droits des femmes et des filles. La criminalisation des violences basées sur le genre (2017), l’institution de la parité dans les fonctions nominatives et électives (2018), ou encore l’adoption de la politique nationale genre et de son plan d’action (2019-2023) sont des avancées, mais des défis importants demeurent. Les femmes sont toujours sous-représentées dans les sphères de la vie politique et publique et, malgré des progrès dans le secteur de l’éducation, les inégalités persistent, notamment dans l’enseignement supérieur et la recherche. Ce domaine a été jusqu’ici très peu pris en considération et l’on dénombre moins de 200 enseignantes-chercheures au Tchad, ce qui représente à peine 7 % de l’effectif total.
Ainsi, l’ouvrage propose d’une part une lecture historique de l’institutionnalisation du genre dans les politiques publiques au Tchad et, d’autre part, une analyse approfondie des données statistiques relatives à l’éducation des filles et de la place des enseignantes et des chercheures dans le monde universitaire. À partir de ces données et pour coller à l’exercice de l’expertise, le comité d’auteurs et autrices a formulé des recommandations d’actions à destination des décideurs pour éclairer les politiques publiques de lutte contre les inégalités entre les hommes et les femmes dans l’Enseignement supérieur et la Recherche.
Sarah Barrières a ensuite présenté sa thèse intitulée « Subversions. Le mouvement des travailleurs à l’épreuve du genre dans la révolution tunisienne », et discutée par Anaïs Lehmann. Au croisement de la sociologie du travail, du syndicalisme, des crises politiques et des études de genre, cette thèse, fondée sur une enquête ethnographique au long cours des conflits du travail dans la sous-traitance internationale, entend apporter un éclairage inédit sur les reconfigurations du mouvement des travailleur·ses tunisien·nes lors du processus révolutionnaire amorcé en décembre 2010. Alors que les recherches en sciences sociales sur les crises politiques au Maghreb et au Moyen-Orient sont nombreuses, les mondes du travail demeurent un angle-mort. Pourtant, au cours de cette période, les travailleur·ses tunisien·nes ont massivement fait irruption sur la scène politique : ils et elles ont interrompu la production, formé des syndicats, occupé et saboté les lieux de travail et se sont parfois engagé·es dans des grèves de la faim. Cette enquête multisituée menée dans les secteurs du textile, des centres d’appels et de l’électronique, à Tunis, Mahdia, La Chebba et Sousse, a permis de saisir le mouvement des travailleur·ses dans la pluralité de ses dimensions : celle des protagonistes, des entreprises et des structures syndicales et à l’intersection des rapports sociaux qui le traversent. Si les révolutions sont souvent analysées au prisme des ruptures sociales, cette étude, en cherchant à sérier les événements marquant le mouvement des travailleur·ses, a révélé à la fois ses transformations et ses continuités : ses rythmes, ses formes, ses possibles et ses fermetures contestataires variant d’une séquence à l’autre. Au plus près des acteur·ices en lutte, cette enquête a également mis en lumière des variations au sein de chaque séquence : certains conflits qui se sont inscrits dans un même répertoire d’action n’ont pas abouti aux mêmes issues ; des mobilisations ont été plus inventives que d’autres ; certain·es acteur·ices ont été exclu·es de l’espace syndical, quand d’autres y ont fait « carrière ». Une lecture genrée s’est révélé nécessaire à la compréhension de ces dynamiques. On peut retrouver une interview de Sarah Barrières sous forme de « 5 questions à » sur le blog GCR.
Pour finir la matinée, Laure Beaulieu a présenté sa thèse intitulée « Ce que #MeToo fait au travail journalistique : ethnographie d’une rédaction de presse écrite nationale », avant d’être discutée par Hélène Paquet.
Organisée en neuf chapitres, sa thèse étudie au prisme du genre, dans le contexte post #MeToo, un média de presse écrite nationale, dominant dans le champ journalistique français, renommé le Journal en raison des contraintes d’anonymisation. Ce travail monographique examine en quoi ce moment historique de diffusion et de relégitimation des idées féministes, notamment sur la question des violences sexistes et sexuelles, façonne l’organisation de la rédaction, les routines de travail et les contenus publiés.
Cette recherche cherche à questionner la spécificité d’une entreprise de presse face au « moment #MeToo » (Pavard et al., 2020), et à comprendre en quoi ce type d’organisation se différencie d’entreprises (Guillaume, Pochic, 2007), ou d’administrations publiques (Marry et al., 2017), également engagées dans la démonstration de leur loyauté à des normes de responsabilité éthique et de progressisme politique, à l’ère du « capitalisme responsable » (Bereni, 2022). Ce doctorat vise par ailleurs, en analysant une rédaction de presse nationale, à mettre au jour les conséquences de ce « moment #MeToo » sur la profession de journaliste et plus particulièrement sur la définition et les modèles d’excellence professionnelle.
D’un point de vue épistémologique, ce travail de recherche s’inscrit dans les sciences sociales genrées du journalisme avec une attention particulière pour les organisations, l’organisation du travail, les normes et pratiques professionnelles et les réceptions des idées politiques. Il mobilise un cadre théorique à la croisée de la sociologie du journalisme, de la sociologie du travail et des organisations, et des études de genre et des féminismes.
2. Ateliers thématiques
Après deux sous-ateliers professionnalisant à destination des doctorant·es, sur la publication et la soutenance de thèse, les membres de l’axe se sont réparti·es dans trois ateliers scientifiques suivant les thématiques qui les rassemblent. Le premier atelier, « Classes, corps et intimités », a été animé par Florence Maillochon et Théo Rougnant ; le second, « Les inégalités au prisme des migrations » par Yasmine Berriane et Etienne Penissat ; et le troisième, « Enquêter le travail, enquêter en organisations », par Laure Bereni, Helène Demilly et Maya Guerrand. Ayant pour objectif d’initier des espaces de discussions collectifs sur des thématiques précises, ces ateliers se sont tenus sous des formats divers, comme la lecture de textes ou des tours de table, permettant de parler des travaux de recherches actuels des membres de l’axe.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Théo Rougnant (2 juillet 2025). Compte-rendu de la journée de l’axe GCR (20 mai 2025). Imbrications des rapports sociaux. Consulté le 9 juillet 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/148z9